le Champ des Guerriers

"Tu es sûr que tu deviendrais Juge n°1 ? Radamanthe ne serait pas remplacé par quelqu'un d'autre, une personne externe, qui reprendrait sa place ? Le fait que les juges aient leur position décidée par leur pureté, par la valeur de la justice dans leurs coeurs, n'est donc qu'une légende ?"

- Non ce n'est pas une légende. Et c'est pour cela que je suis juge numéro 2 et que je passerai numéro 1 s'il n'était plus là. Logiquement, le cumul des tâches est interdit, pour un Juge. On ne peut pas être à la fois au four et au moulin. Radamanthe a brillé essentiellement par son absence. Il n'est pratiquement jamais là pour faire son travail. Et lucifer l'a remplacé pendant des siècles. Cela ne peut plus durer.

"Mais justement, pourquoi Radamanthe cumule deux tâches ? Ca ne risque pas de t'arriver si tu deviens juge n°1 ? Et la place ne risque-t-elle pas d'être prise par un être qui est plus sensible à la justice que toi ?"

- Plus sensible à la justice?? Je te trouve bien insolent, pour une âme dont le sort repose entre mes mains... Radamanthe doit être démis de ses fonctions pour incapacité à assumer pleinement son poste principal. Voilà tout ce qui doit être dit et retenu. Maintenant tu vas me donner ta réponse, parce qu'on ne va pas non plus y passer des années...

"Tu t'attendais à quoi ? Que je hoche la tête bien gentiment, que j'accepte de le tuer et tout cela sans y réfléchir ? Je te préviens, je ne suis pas vraiment tenté. Tu veux que Radamanthe soit démis de ses fonctions ? Hé bien trouve un moyen. L'assassiner ne semble pas très... Juste. Si ?"

- c'est le seul moyen de destituer un Juge. Il DOIT mourir. Et je suis sûr qu'il préfèrerait que ce soit de ta main. Peut être le sait-il depuis le départ... Depuis qu'il t'a rencontré... Peut être le souhaite-t-il bien plus que moi...

"Alors convoque-le. Alors que je ressucite de sa main. Si c'est sa mort qu'il désire, qu'il en fasse de moi l'instrument."

- ... OK. J'espère qu'il ne servait pas là où il se trouvait... huhuhu

Eaque ferme les yeux, s'accroupit, et frappe un grand coup dans le sol, qui se met aussitôt à vibrer de façon étrange.

Le grondement sourd perdure quelques secondes, puis le juge se redresse et croise les bras, attendant la réponse de l'Appel.

Il ne leur faut pas attendre longtemps. Radamanthe apparait à quelques centimètres d'Eaque, l'air plus menaçant que jamais.

- Quelle bonne surprise, Eaque... Que se passe-t-il donc pour que tu me déranges ainsi?
- Notre ami commun est mort.
Eaque désigne l'âme de Ban.
- Je me disais qu'il était temps de te juger, mon frère. Voilà des siècles que tu n'accomplis plus ton travail correctement, tout occupé que tu es à te rendre esclave de la Balance.
Radamanthe reste interdit.
- Oui, je suis au courant, ainsi va la vie, n'est-ce pas? Tu ne croyais tout de même pas le cacher éternellement!
- Ma foi, si... j'aurais préféré...
- Désolé, mais tes absences répétées ont suscité trop de questions. Tu ne peut assumer ces deux rôles.
- Ce n'est pas faux.
- Il te faut donc passer le flambeau.
- Pas faux non plus.
- Donc notre ami commun peut te tuer?
- Non.

Eaque défie Radamanthe du regard, puis s'éloigne de quelques pas.
Le premier juge s'avance vers l'âme de Ban.
- Te voilà bien réduit, mon ami.

"Que veux-tu ? Quand les chevaliers servants ont pas de chance, ils crèvent en tentant de sauver leur bien-aimée. C'est une mort comme une autre, mais je l'aime bien. On vit pour soi, alors autant mourir pour quelqu'un d'autre, non ?"

"Eh oui, malheureusement, ce n'est pas ma grande gueule qui a été réduite. Bon, on fait quoi ?"

- Je comptais t'en parler une fois le monde sauvé, mais il semble que je sois obligé de le faire maintenant... Eaque a raison sur presque toute la ligne. La seule erreur qu'il fait, c'est que je ne compte pas sur toi pour me tuer. En revanche il a très bien perçu que tu avais une importance spéciale à mes yeux.

Radamanthe approche sa main de Ban, elle s'illumine. Ban sent une chaleur apprciable l'envahir. Peu à peu, ses membres redeviennent matériels. Peu à peu il sent la vie envahir de nouveau son corps, couler dans ses veines.

- En temps normal je n'ai pas le droit de faire ça. Mais tu ne peux pas mourir maintenant. T'es tu déja demandé pourquoi une troisième source d'énergie avait germé en toi lorsque l'on s'est rencontrés? Une énergie qui avait la force d'équilibrer les autres? Tu es l'héritier de la Balance, Ban. Je vais effectivement passer le flambeau, mais pas celui qu'Eaque souhaite. Je vais rester Juge des Enfers. Et toi tu deviendras l'instrument de la Balance. Ce n'est pas un cadeau... Mais c'est ainsi...

"Je vois... Effectivement, ce n'est pas un cadeau que tu me fais là."

"Mais si ça peut me donner la force de faire un miracle ici et maintenant, de sauver maintenant les gens qui comptent pour moi, alors j'accepterai avec plaisir. Bon, si ça ne peut pas me donner autant de force, j'accepterai quand même, mais avec moins de plaisir."

"J'ai à peu près compris les devoirs qui nous échoient avec ce boulot de jouet de la balance, mais ça donne quoi comme avantages ? Et tu me dis que je le deviendrai, mais quand ?"

- Quand mon rôle ici sera terminé. Le prochain guerrier, ce sera toi. Mais je ne peux pas te dire quand exactement la tâche t'incombera. Et non, réellement, ce n'est pas un cadeau. Car cela te donne des contraintes, énormément de contraintes, mais aucun avantage à part celui de la force...
De plus, tu ne seras pas forcément appelé à oeuvrer pour le bien. Qu'on s'entende bien, le déséquilibre peut aussi être en faveur du mal, et dans ce cas tu devras t'opposer aux bons.
Cette tâche ne te permettra aucunement de te lier à qui que ce soit. Tu auras la vie éternelle, du moins jusqu'à ce que tu passes le flambeau, comme je le ferai, mais elle ne te servira pas à grand chose, puisque tu ne pourras ni aimer ni détester. Rester neutre. Toujours.

Eaque écoutait d'une oreille. Il finit par intervenir.

- C'est bien joli, tout ça, mais toi, tu comptes redevenir le petit juge préféré comme si de rien n'était? Après toutes ses années de travail bâclé?
- Désolé Eaque, mais oui. Et le travail n'a jamais été mal fait, chez moi. Il est juste en revanche de dire que je n'ai pas été souvent là, la Balance me laissant peu de répit finalement. Tu devras t'y faire, car je vais revenir, c'est ainsi.

A la mine défaite d'Eaque, Ban ne peut que sourire, il semble vraiment déçu, mais résigné. Il s'éloigne sans saluer, laissant Radamanthe et le jeune homme à présent bien vivant seuls.

Radamanthe saisit Ban par le bras et disparait. Direction le Chateau de la nuit.